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MATIN


Pour ton cœur angoissé ce printemps est amer ?
Ô songe aux pauvres fils de cette avare mer,
Songe aux trois-mâts coulés, aux terres inconnues,
Aux fauves des déserts, aux marbres des statues
Dont le vol immortel arrêté dans des ports
T’enseignera comment on domine la mort.
Songe au pauvre bouvier, aux toits, aux cathédrales,
À la ville impatiente où l’heure théâtrale
Fait bouillir de passion les désirs émeutiers
Que la sereine loi menace de l’acier.
Songe aux pavés luisants dans ce matin d’averse.
Devine et la ferveur et l’attente diverse
De tout un peuple d’yeux regardant la lueur
Qui pourrait annoncer un jour de vrai bonheur.
Outre-mer l’émigrant abat l’arbre et l’élague.
Le pauvre mat brisé dérive comme une algue.
L’ouragan agonise. On voit fuir le voilier.
Aux Klondyks fabuleux s’arme le pionnier
Et près de toi la nuit dans une aube ennemie
Voit, des meules de feu, jaillir un incendie.
Écarte les rideaux. Le jour est là, joyeux,
Élève donc ton cœur misérable et radieux.