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Je parle à cette forme condamnée, là sur mes genoux, où a tenu toute la joie de ma journée, — maintenant tout ce que doit dévorer la matrice terreuse de l’ombre.

À l’heure où mon amour est mort, comme à la tierce du Saint-Vendredi, le ciel s’est couvert de ténèbres, et comme dans une convulsion le malade sur son lit, la terre s’est retournée, perdant pour toujours la vue du front oriental, que couronne la lumière, le sublime bambou d’or qui croît à chaque pulsation et qui, mûrissant le fruit par qui tout mûrit sous la palme du firmament, fait qu’à chaque regard toute créature espère. Mais au contraire, tournant le dos au soleil, dès lors et d’un seul coup une ombre ineffaçable m’a séparé de ma jeune aube : la hanche de mon destin, l’Himalaya de l’Adieu s’est dressé entre mon cœur et mon aurore.

Et depuis, avec cette moisson glacée des générations humaines, je n’ai plus sous les yeux que le fruit de la passion, l’orange sanglante du cou­chant, qu’un cri va détacher sur la pelouse muette de la nuit.

Il n’y a point de joie dans les éphémères : il n’y a que du plaisir ou, comme ils disent, de la volupté.