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LE VOYAGE À ORANGE
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ici que des apparences. Mais quel coup dans le cœur cet arrêt sombre sur l’infini, ce mur qui brille, ces ressauts de la lumière qui, partant du bas de la scène, n’arrive pas à disperser l’ombre des retraites ménagées par le temps dans les profondeurs de ce bandeau de cyclope. Des gradins enfoncés dans la nuit, les acteurs semblent de petites choses agitant de minimes passions contre les pieds irrémissibles de la Fatalité. Si jamais homoncule livré aux abandons quotidiens d’une vie sans grandeur pouvait espérer autre chose qu’une pitance chichement départie, ce serait à sentir sur son front l’aile froide des destinées qui gîtent pour toujours dans les cavernes silencieuses de ce mur déchiré.

Encore que je les plaisante parfois, je respecte toutes les croyances ; mais ce respect est chez moi quelque chose qui touche à la commisération. Lorsque je rencontre dans la rue un misérable chien accroupi sur quelque os, je passe sans médire, — je sais que tous nous vivons pour vivre, et le chien du ruisseau, et ma maîtresse, dont les seins sont parfaits. De même lorsque je vois un chrétien je reste sans colère : épave qui s’accroche à deux morceaux de bois l’un à l’autre fixés, il ne vaut ni ma haine, ni mon amour ; ce m’est un étranger.