Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA VENDANGEUSE
349

lumière, comme sur la pulpe opaline des raisins d’or se remémore la gravité mélodieuse ou la divine joie du paysage.

Toutes les formes se rejoignent en leur exalta­tion ; corps nus, fruits mûrissants, eaux calmes, feuilles dorées, l’enthousiasme de leurs forces atteste leur commune vibration.

L’âme de cette artiste répugne à l’idée de la mort : lorsqu’elle songe à nous offrir la joie des fruits ensorceleurs, elle se garde bien de nous les montrer dans l’attitude équivoque d’une «nature morte» et ces fruits entassés sur un banc dans une cour plantée d’arbres font au reflet du soleil, désirer, jusqu’à l’énervement, l’apaisement de leurs fraîcheurs odorantes : ils évoquent ainsi en nous le double charme de nous sembler à nous puisqu’ils sont là, cueillis, à portée de nos lèvres, cependant que les reflets du soleil, les arbres, l’atmosphère sont les rappels vibrants de leur attachement à la vie universelle. Et toute cette vie saine, joyeuse et fraîche, s’émeut, chante, s’anime, et chaque forme semble chanter à l’autre un cantique des cantiques sans mièvrerie : chaque forme semble inspirée de cette joie dyonisiaque que vanta Nietzsche avec une ardeur nouvelle.