déjà notre vérité s’est un peu transformée. Elle n’apparait que par des mots, — des mots qu’elle n’a pas inventés, — et d’un être à un autre les mots ne gardent point le même sens, bien que leur son ne varie guère. Ils sont le costume commun de tous les esprits qui participent au même langage ; en user, même avec art, c’est se montrer en uniforme. Elle s’était penchée doucement vers un bouquet ; elle ajouta, la bouche perdue dans une grande rose : — Le cœur a mille nuances pour un seul mot : aimer. La voix mourait divinement. Il en goûta l’exquise musique, et reprit d’un ton jovial, peut-être un peu forcé. — Dieu, que vous êtes subtile ! Hé ! qu’est ce donc que raisonner, je vous prie, sinon trouver une moyenne confortable entre diverses idées ? Les idées sont aigües, chacune pointant vers l’infini de sa logique. J’en émousse quelques unes et je m’assieds dans le tas : cela s’appelle penser. Ainsi en va-t-il du langage. Celui du geste est le plus expressif. Si vous m’aimiez, j’aurais vos lèvres et cela suffirait : que la parole s’y trompe, la chair ne s’y trompe guère ; et c’est pourquoi la bouche
Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/36
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
ANTÉE
