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ANTÉE

L’espace et le temps m’ont limité et les lions de la douleur m’ont dévoré chaque jour, et plus d’une fois, au lieu de vaincre en moi l’égoïsme, j’ai dû le fortifier, établissant contre les événe­ments une vie que l’abîme au moins s’est voulue essentielle. Aujourd’hui je n’attache de prix, comme jadis, qu’à ce qui peut passer par le plus intime de mon âme, mais je comprends que nulle pierrerie ne refuse d’allumer ses feux à cette lumière centrale. Puisque cependant je suis vaincu d’avance, comme l’ont été tous ceux qui vinrent avant moi, puisque la croix où leur vie fut clouée après leur ombre immense dans l’ombre chancela, puisque nul n’est élu dans ce royaume dont l’appel monotone est le berger unique de tant de mondes silencieux, puisqu’un destin ne fut jamais que le plus faible écho d’une vocation, puisque le temps dévore sous nos pas l’espace qui les emporte, qu’à ma folie une autre répondant se dresse qui l’ab­solve. La gloire, qui remplit les cœurs du nom d’un étranger, qu’est-elle, que le mystère par quoi la défaite du vaincu se trouve transsubstantiée ? Aussi ceux-là seuls posséderont la gloire qui sont vaincus d’avance. À ce seul verbe : “ Vaincu ”, pareil à une face ignominieuse dans la poussière, — répond le synonyme convoquant de siècle en