Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ÉLOGE DU SOMMEIL
311


Quand tes mains s’appuient à nos épaules lasses,
Que, genoux cassés, reins tordus, nous crions grâce,
Nous sentons ton ombre obscure, ô Sommeil, qui passe !
 
Et nos poings déchirés battent les murs sonores,
Se tendent vers toi et se déchirent encore
Aux vitres louches où blanchit la blême aurore !

Et tu viens, Sommeil, bel empereur fastueux,
Passant mélancolique des minuits fiévreux
Calmer l’incendie des cœurs et des fronts en feu !
 
Mer de béatitude ou notre âme se plonge
Car la paix de ta venue en nous se prolonge,
Ô pacifique semeur de l’or de nos songes !

Molle douceur, triste calme, joie et repos,
Uniforme et infini bercement des eaux,
Tes bras nous sont, Sommeil, un merveilleux tombeau !
 
Tu nous prends par la main pour quels pays charmants ?
Des routes neuves s’offrent à nos pas tremblants
Vers l’ingénu printemps d’un impossible Orient !
 
Et nous cueillons la moisson des rêves nouveaux,
Un innombrable désir claque en nos cerveaux
Comme une loque d’or aux hampes des drapeaux !