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ANTÉE

La minute vivante est là comme une belle proie : ruons nous sur elle avec toutes nos énergies. La vie est dure : accordons à ceux qui vivent toutes nos sympathies. Laissons les morts tranquilles. Ne puisons dans leur héritage que des moyens de vivre plus délicieusement ou moins affreusement. Puisons y le moins possible. Une conserve ne vaudra jamais le fruit qu’on cueille à l’arbre. Quant à l’avenir il n’est pas encore (comme eût dit ce vieux la Palisse.) Marchons vers lui, mais non en lui. Entre les deux multitudes de fantômes, ceux dont on se souvient et ceux qu’on imagine, il y a l’homme qui souffre, la femme qui caresse, l’enfant qui court au plaisir en riant… Beaux ou laids, bons ou mauvais, idiots ou sublimes, ceux-ci nous passionnent, nous attendrissent, nous charment, qui vivent comme nous et en même temps que nous. La plus douce volupté d’un vieil homme, son cœur même, sont attachés à tout ce qui figura dans son existence. Il passa dans la vie, distraitement, emporté par sa destinée. Mais à l’heure où lui est accordé le loisir de rêver, il se met à apprécier, à aimer, à désespérément regretter ce dont il n’a pas suffisamment joui… Ô nous, possédons à l’heure de la possession…

Et puis, je le répète, c’est un devoir. L’humanité