Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LUCIE, RUE SAUNIER
209

cette époque-là, j’ai fait un mexicain, un vieux, qui me donnait toujours cinq louis. Il était rigolo. Il voulait que je m’habille en petite ouvrière : canotier, petite robe noire, et, comme ça, il m’em­menait dans les chics boites... On allait prendre l’apéritif en fiacre à la Cascade : du champagne et des petits gâteaux. Il voulait toujours me saouler. Et le soir, en rentrant, il me portait, lui qui pou­vait à peine se tenir sur ses jambes... On se couchait, il fallait que je garde mes bas, et lui, il avait son caleçon et son bonnet de coton, sa marmotte... Je l’ai tapé une fois de dix louis, il me les a donnés, mais je crois que j’ai eu tort, je ne l’ai pas revu... Toi qui sais l’espagnol, il était avocado — c’était sur sa carte — ça veut dire avocat, hein ? Il était aussi sénateur... Et caramba, qu’est ce que ça veut dire ? Et pugnete ?...

“ Mais, toi qui es de Barcelone, c’est pas loin du Mexique, n’est-ce pas ?... Alors, t’es capitaine de vaisseau... j’aurais pas cru, t’as plutôt l’air d’un homme établi, un entrepreneur... Mais tu risques ta vie, là !... Où qu’c’est ça, Barcelone ?

“ Il y a longtemps que j’habite dans la maison. D’abord, j’étais au premier, sur la cour. Mais je n’étais pas bien là. Ici je suis mieux. Dis, tu trouves qu’elle vaut cinquante francs cette chambre-là ? Il