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LES ARTS ET LA VIE
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esclavage. Tant mieux ! tant mieux ! Un écrivain ne vit plus seulement dans son studio. Il roule sa bosse (cette fameuse bosse) si j’ose dire, parmi les cabarets, les salons et les pays. Tant mieux encore ! On ne fait pas la moisson dans la grange. Qu’ils courent le monde et l’homme, qu’ils se remplissent d’images, de sensations, de vérités, et vous verrez au retour de quelles encres fumantes et multicolores ils rempliront leurs encriers.

Le troisième point de vue dont j’éclaire ma thèse (un bien gros mot) est celui du décor. Jusqu’aux secrétaires de rédaction des journaux sont stupéfaits à la vue des catastrophes et des cataclysmes qui s’abattent sur ce pauvre petit XXe siècle. Ah ! quelle fête et quelle abomination ! Mais quels décors surtout. À les contempler, bien souvent, nous oubliâmes nos rayons chargés de livres. Le duel du Russe et du Japonais, les douze cents victimes de Courrières, San Francisco détruit, les fantaisies du Vésuve, les inondations, le naufrage du navire-école. C’était plus beau qu’au théâtre, ça vous crevait le cœur, ça vous enflammait l’imagination. Jours splendides, jours terribles, où seuls les habitants des capitales — que leurs judicieux fondateurs ont bien situées — n’avaient pas à craindre les fièvres de la terre.