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LES ARTS ET LA VIE
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mes frères, il faut surtout penser à soi, mais il ne faut pas ne voir que soi. Et ces soucis que nous portons, ces parasites qui sont nos maîtres, et qui d’ailleurs presque toujours embellissent, parce qu’ils la passionnent, notre vie, nous ne les rejetons, nous ne les oublions, qu’au plus profond de l’amour, ou là bas, sous des ciels nouveaux, très loin, quand nous nous voyons pour quelques jours à cent lieues de leurs arsenaux... Qu’importe qu’un vent de feu passe sur mes moissons, qu’un tremblement de terre fasse danser mes murs, qu’on m’injurie, qu’on me trompe, que je sois le Benjamin de la Calamité, puisque je suis ici, à l’abri de toute nouvelle, et que l’insouciance me livre au plaisir, comme un homme étranger au citoyen que je suis !

Je revois la ruée de ces employés, de ces bourgeois, de ces ouvrières, vers les trains des matins d’Assomption et de Pentecôte. Ils portaient leur travail, leurs peines, sur leurs visages fripés, mais de quelle éclatante innocence riaient leurs yeux et quelle alacrité faisait courir leurs pieds qui s’en allaient vers deux jours de vacance. Seigneur, nous la connûmes aussi parfois l’ivresse incompa-