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ANTÉE

à posséder, nous possèdent absolument. Je m’inquiète devant ce problème : est-ce un bien ou un mal que de gaspiller ainsi ces molles et ardentes belles années de l’éveil ? — Oh ! la vie est si longue, pour qui, véri­tablement, l’a à lui, trop tôt ! Il est un temps pour l’ignorance, un temps pour le temps perdu, comme pour le désir sagace, la passion, la jouissance, l’écœurement, le regret. Il est même une heure où il convient de mourir. Est-ce qu’une existence, où tout arriverait au bon moment, quand le demandent la nature et la raison, ne serait pas bientôt aride et triste ? Et n’est-il pas en vérité préférable que nous obtenions les plus simples joies, les plus légitimes, au prix de si affreux efforts ? Pourtant j’ai du mépris pour les aveuglés que nous fûmes, en cette adolescence dont les poètes honorent follement l’inconscience rêveuse. Ah ! nous chantions l’amour ! Mais quand un cri d’amour auprès de nous était poussé, nous ne l’entendions pas ; l’amour, sur le plus beau visage, s’offrant à nous, nous ne l’apercevions pas ; en somme, nous ne le cherchions guère ; nous ne rêvions que d’être amoureux ! Et si un homme racontait la plus