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ANTÉE

Ne voyez-vous pas sur sa face des lueurs sanglantes ?

(Personne ne répond.)
SATAN.

Cesse de m’imaginer, vieillard, à travers d’an­tiques enseignements, ou la flamme de tes songes. Ton erreur aura-t-elle été tout ce que t’inspira la plus merveilleuse des rencontres ? Regarde dans quel lieu tu te trouves : ne sauras-tu jamais, homme parmi des hommes, quels prestiges t’entourent ? C’est ici un temple. (Les évêques reculent avec horreur.) De tous les noms que tu m’as donnés, mauvais, serpent, ennemi, accusateur, je n’en veux retenir qu’un seul : Adversaire. Je mérite celui-là : Adversaire de Dieu. J’aime Dieu parce qu’en tous points il définit mon contraire. C’est un fleuve, ou si tu veux une circonférence, ou plutôt, un fleuve en forme de circonférence, et il se verse incessamment en soi-même. Ne le crois pas libre : c’est sa supériorité sur moi, que pour lui tout soit nécessaire, et pour moi rien. Je n’ai jamais su pourquoi il a posé son premier acte, ni s’il était libre de le poser ; mais certainement par ce premier mouvement il s’est interdit toute imagination. C’est un vieillard si logique et si