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LA MAITRESSE AMÉRICAINE
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lui jouait : elle montait de la cave pour la table les bouteilles du meilleur vin, et les buvait avec son frère au nez de la bonne dame qui ne soup­çonnait rien. Le jeune français trouvait à cette his­toire un vrai bouquet américain, elle lui évoquait tout de suite l’intérieur reluisant, ciré, astiqué, d’une mistress âgée, à cheveux blancs, très respectable et un peu ennuyeuse, un peu maniaque et solennelle, fort attachée aux traditions, jalouse des égards qu’on lui devait, et attentive à l’ordre de son home... Nelly parlait de son frère : le garçon devait être bien étonné de la voir avec un Monsieur, et en ces termes, car elle s’arrêtait tous les matins ici, avec son frère dans sa promenade quotidienne en automobile ou à cheval. La préoccupation de Nelly avait disparu. Et là, dans cette salle toute blanche, n’étant gênés par aucune présence, Jacques et elle goûtaient l’agrément de se plaire, de peu se connaître, d’être curieux l’un de l’autre, d’apporter chacun à leur vie un élément d’intérêt et de romanesque.

Ils quittèrent le petit hall plein de lumière, et se retrouvèrent dans la nuit du Bois. Jacques avait passé son bras sous celui de sa compagne. Et parfois ils s’arrêtaient et ils s’embrassaient. Ils étaient près du pont de Suresnes, ils montèrent dans le tramway électrique qui stationne là.

Sur la banquette il se serrait contre elle, elle lui souriait. Le véhicule léger fila le long de la plaine