Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1906-06.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA MAITRESSE AMÉRICAINE
105

toutefois sans un peu l’étonner ; mais ceux-ci faisaient sans doute ? partie du flirt, lequel permet tous les baisers et toutes les caresses, une seulement exceptée. Un baiser peut toujours passer pour innocent, les petits enfants s’embrassent, et le flirt est un jeu tendre de petits enfants qui ont grandi, jeu fort innocent, où il est entendu que les sens n’existent point, que tout baiser est chaste et toute caresse sans-arrière pensée. Ceci posé, que ne peut-on faire, à la condition d’avoir toujours l’air de croire que l’on ne fait que choses permises ? Ô chère pudeur anglo-saxonne ! qui ne se révolte pas de ce que les mains accomplissent, si les yeux ne le voient point, et tolère allumés tous les feux, si leurs flammes sont bien cachées !... Que l’amour conserve toujours l’apparence d’une petite chose puérile dont aucune pruderie ne pourrait s’alarmer, que les gestes les plus brûlants semblent des enfantillages candides, que tout ce qui est à double sens n’adopte que le sens vertueux : rien de ce qui se passera ne sera shoking.

Jacques, se disant cela, ne pouvait plus s’étonner de la spontanéité et de la profondeur des baisers de la jeune fille Nelly, puisque, en les lui donnant, elle avait supposé entendu entre eux qu’ils n’étaient qu’innocents. — Cependant il lui semblait que Nelly, ne connaissant pas assez le français qu’il était pour savoir qu’il comprendrait tout cela, avec lui avait agi trop vite com me avec un garçon américain. Malgré tout, subsistait en son esprit une légère impression de surprise.