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ANTÉE

Les porteuses de pains. — Milie et Toria viennent de la boulangerie. Elles s’arrêtent devant ma porte.

Milie est rentrée du charbon il y a une heure à peine : elle a gardé le serre-tête bleu et blanc que lui envierait la Vénus de Milo elle-même, les sandales d’étoffe rude, le jupon fait de toiles d’emballage. Elle étreint sur ses jeunes seins, en y appuyant son cou fort et gracieux, deux pains fumants. Et je vois les mains noires de la petite se couvrir d’une poudre blanche, cependant que la poussière de charbon macule de place en place la belle croûte...

Touchant échange ! Eh ! Dieu, sais-tu pas ce que donne la tartine si tu l’exposes trop longtemps au feu, au lieu de la rôtie désirée ? Milie va tous les jours sur les terrils, glaner parmi les schistes les gaillettes précieuses, ainsi que d’autres vont dans les champs glaner les épis de bon froment. Des gens savants, d’ailleurs, dans les gazettes, appellent le charbon “ le pain noir de l’industrie ”... Mais Toria, Toria ! Cette diablotine ne cesse de jongler avec son pain. Le pauvre ! Il a subi le contact de la robe en lambeaux, des cheveux roux pendant comme le feuillage du saule pleureur, et vlan ! le voilà tout-à -coup dans le ruisseau...

Toria le ramasse. Sa manche sale a vite fait