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LA VIE DU PEUPLE
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protester. Malgré gendarmes et huissiers, des femmes debout sur les bancs, agitaient des mouchoirs vers l’acquitté qui, gardant son air hébété, se laissa entraîner par deux gendarmes. Je les filai. Nous nous trouvâmes à quatre dans une petite salle nue et triste dont la lourde porte fut fermée. Le malheureux répétait obstinément, farouchement, en me serrant les bras : “ Ma fille ! Où est ma petite fille ? Je veux voir ma petite fille ! ” Cepen­dant que l’un des gendarmes ânonnait un acte de mise en libération !...

On nous fit suivre un long couloir dérobé. Et tout-à-coup, ce fut la lumière, une clameur, la foule en délire, des bras qui l’étreignirent, des bouches voraces qui mordaient son visage, des épaules qui le hissèrent et le portèrent en triomphe.

Vingt minutes après, un train le débarquait à la gare du village. Le cortège se forma : lui porté, comme sur un pavois jadis le Mérovée de mon livre d’école, son père, ses frères et ses sœurs dansant et chantant, des bouquets à la main. On jetait du sable et des fleurs sur son passage (c’était d’ailleurs la Fête-Dieu). Et la procession qu’ils croisèrent aux Quatre-Pavés, fut complètement débordée. Des saints se trouvèrent sans porteurs.