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visage rond et pâle, la bouche amère ; les yeux très grands, très clairs, pleins d’une expression romanesque et mélancolique.

Charlotte lui avait pris la tête dans ses deux mains ; elle sentait les tempes battre à travers les cheveux. Cet attouchement délicat lui laissait aux doigts une chaleur de plumes et de sang, comme d’une blessure d’oiseau. Elle écoutait cette sensation, et le silence coupé par le bruit réglé d’une horloge. Elle s’émerveillait de ce que leur jeunesse créât ce silence, cette solitude vaste, ces montagnes où leurs cœurs enchantés bondissaient dans une sensation de vertige et de fuite.

Elle disait à voix basse :

« Ma chérie, ma chérie… »

Madeleine ne parlait pas. Elle regardait droit devant elle le visage de Charlotte, de ses grands yeux étranges qu’on eût dit rivés dans l’extase.

Cependant, il fallait partir. On entendait les pas lourds du concierge qui parcourait les salles, en éteignant les becs de gaz. Charlotte prit le bras de Madeleine. Elles sortirent.

Dehors, elles se regardèrent encore en souriant, éblouies par les réverbères, les vitrines, les bruits de la rue.

« Où vas-tu, demanda Charlotte.

— Avec toi.