Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1905-06.pdf/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 128 —

adolescentes, la plupart attendaient le diplôme de régente pour s’en faire un gagne-pain.

De ce nombre était Charlotte. Pourtant, ses yeux n’exprimaient pas le souci de ses camarades. Rayonnante de jeunesse et d’exaltation, elle songeait à sa lecture, et ne pouvant rouvrir le volume qu’elle tenait sur ses genoux, elle en regardait la couverture avec amour, supputant les heures à venir, les joies qui l’attendaient encore.

Le livre, grossièrement relié, portait au dos un chiffre indiquant qu’il appartenait à une bibliothèque publique ; c’était l’ouvrage de Léon Tolstoï intitulé : Ma confession.

Charlotte l’avait lu à peu près entièrement. Elle paraphrasait en esprit ce texte qu’elle avait isolé : La foi est la force de la vie.

Il faisait lourd et sourd. Des bouffées d’air sec, dont on sentait le poids, entraient dans la chambre par les bouches de chaleur. La lumière spéciale d’un jour de dégel engourdissait aussi, disposait à la nonchalance. Mais ces enfants de dix-huit ans n’avaient pas le loisir d’être nonchalantes. Charlotte et Ninie Air seules s’en donnaient à cœur joie : Charlotte, entièrement absorbée par les théories humanitaires et tolstoïennes, avec un certain remords, car elle sentait qu’elle perdait un temps infini, qu’elle