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Voyage de Paris

couvert de pierres de Saint-Leu, que je prenois de loin pour du marbre d’Italie, lorsque, pour suppléer au défaut de marée & au vent contraire, notre pilote, prudent & sage, parce qu’il étoit encore à jeun, a jeté un cable à terre, qui, sur le champ, m’a paru avoir été attaché à un charretier & à deux chevaux. J’ai remarqué que quoiqu’ils aient toujours été le grand trot, & quelquefois même le galop tous les trois, nous les avons cependant toujours suivis, sans doubler notre pas. C’est une belle chose que l’invention de la mer !

J’étois pour lors dans une assiette assez tranquille, puisque je m’occupois à consommer une partie de ma victuaille, lorsqu’apercevant une longue frégate, beaucoup plus forte que notre vaisseau, & qui lançoit debout à nous, j’ai cru être perdu. La peur donne des aîles, dit-on, mais sûrement elle ne donne point d’appétit, car il m’a manqué tout d’un coup. J’ai vu notre capitaine sortir brusquement de sa chambre, quitter une partie de pied de bœuf, à laquelle il jouoit avec des dames, pour monter sur le pont & crier à plusieurs reprises : Coit ! coit ! coit ! J’ai vu ensuite les matelots de la frégate lever le chapeau en l’air, & crier à des hommes & à des chevaux qui étoient à terre. Ho ! ho ! ho ! J’ai pris tout cela pour le signal de l’abordage ;