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par rapport à nous ; en un mot, qu’il faut que nous, qui nous croyons bien fermes sur nos jambes, prenions garde de ne pas tomber.

Je crois même qu’il est impossible à tout homme de ne pas choquer les maximes de la probité. La nécessité absolue est au-dessus des forces humaines. Supposons cinq hommes dans une chaloupe, au milieu de la mer, sans aucune provision, incapables de résister plus long-tems à la faim qui les dévore. Ils délibèrent ensemble sur leur affreuse situation, & ils prennent le parti de tuer un d’entr’eux pour servir de nourriture aux autres. Quel mets pour d’honnêtes gens ! de quel cœur peuvent-ils le bénir & en rendre graces à Dieu ? Cependant l’homme du monde le plus délicat sur la vertu, peut être forcé à commettre cette action, quoique la seule pensée d’un meurtre soit capable de le faire trembler d’horreur quand il se trouve dans d’autres circonstances. Il n’y a ici que la seule nécessité absolue qui soit capable d’excuser ce crime ; il n’y a pas moyen dans le fond de le justifier. Si l’on allègue qu’il vaut mieux perdre un seul homme que cinq, je demande quel droit les quatre qui restent, ont de sauver leur vie aux dépens de celle de leur compagnon ? Par quelle dette cet homme s’est-il obligé à leur conserver la vie par sa mort ? C’est un vol, c’est un meurtre, c’est attacher à cet homme une vie dont