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Voyages

les mériter ; le silence & le mystère aiguisent & cachent ses doux transports, la pureté de sa flamme honore & purifie ses caresses, & au sein même de la volupté, la décence & l’honnêteté l’accompagnent ; & l’on peut dire que lui seul sait tout accorder au desir, sans que la pudeur s’en puisse offenser : mais ôtez de l’amour son plus grand charme, qui est d’estimer l’objet aimé & de lui prêter des perfections ; dès que l’honnêteté l’abandonne il n’est plus rien ; l’innocence jointe à l’amour est le bonheur le plus doux & l’état le plus délicieux de la vie ; ni la honte ni la crainte ne troublent la félicité de deux amans vertueux ; au sein des vrais plaisirs, ils n’ont point de reproches à se faire, & peuvent parler de la vertu sans rougir.

C’est ainsi que nos belles Abadiennes nous dépeignent l’amour. Ne seroit-ce pas, ajoutent-elles, un rare phénomène à offrir à la nature, qu’une personne qui se diroit heureuse sans aucun plaisir du cœur ? Les ressorts d’une pareille statue ne seroient pas aisés à analyser. Le plaisir du cœur doit être la satisfaction intérieure qu’on ressent en aimant ce qui est honnête. L’esprit peut-il être satisfait lorsque le cœur languit dans la tristesse ? Le défaut de confiance lui donne des entraves, on n’ose expliquer sa pensée avec des personnes dont on se méfie, l’intérêt de la conversation se trouve borné par cette réserve mystérieuse, un froid monotone la glace,