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Voyages

Mais, pour abréger une histoire qui pourroit à la fin vous ennuyer, j’ajouterai seulement qu’après bien des combats je consentis, non sans peine, de céder aux empressemens de Cléontine. Ma mère, qui trouva dans ce parti de grands avantages, acheva par ses sages conseils de me déterminer ; ce sacrifice fut d’autant plus grand, que, malgré l’amitié que Cléonbule m’avoit toujours témoignée, j’avois pour lui une antipathie que j’eus peine à vaincre ; je puis dire néanmoins avec justice que pendant les cinq années que j’ai passées avec lui, nous avons joui l’un & l’autre d’une paix qui n’a jamais été troublée par nulle sorte d’inquiétude ; ses complaisances & ses attentions ont triomphé de mon cœur ; l’amour avoit pris la place de l’indifférence, lorsque la mort nous l’a enlevé ; j’avoue qu’alors livrée entièrement à Cléonbule, les droits de l’époux portèrent long-tems préjudice à ceux de l’amie : mais la douleur que nous éprouvâmes, l’une à la perte d’un père, & l’autre à celle d’un époux si tendrement aimé, réunit nos sentimens, ranima nos cœurs & les confondit de nouveau ; j’avois longs-tems partagé celui de Cléonbule, il s’étoit emparé de la plus grande partie du mien ; c’était un double vol que j’avois fait à mon amie, une dette que j’avois contractée, dont je lui devois la restitution, & que je me suis engagée à payer pendant tout le cours de ma vie.