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de Milord Céton.

rang en prévenant quelqu’un pour l’obliger ; sans doute qu’il craignoit de s’humilier en se rendant aimable. Il n’estimoit & ne mettoit au nombre des hommes que ceux qui par leur naissance & les titres dont ils étoient décorés, ou bien ceux que l’opulence pouvoit mettre en état de lier un commerce de société avec lui ; les autres, il les regardoit comme des gens qui ne méritoient pas ses attentions : aussi les premiers étoient-ils les seuls qu’il obligeoit, parce qu’il n’imaginoit de reconnoissance flatteuse que la leur. Ce n’étoit qu’au rang de ceux sur lesquels tomboient ses bienfaits qu’il mesuroit le plaisir qu’on a à les répandre. La misère la plus touchante lui étoit inconnue, dès que le malheureux ne présentoit à sa générosité qu’une personne obscure qui ne lui eût offert qu’un exercice ignoré & sans faste.

Cependant Albion paroissoit naturellement sensible, mais son cœur se roidissoit contre la bonté de son ame, & sa fierté vouloit toujours trouver dans les sujets un vain éclat qui annonçât ses bienfaits. Il ne reconnoissoit point encore cette aimable façon de donner qui ravit, pour ainsi dire, l’ame de celui que son infortune oblige à recevoir, en lui dérobant ce qu’il y a d’humiliant pour ménager son amour propre ; c’est ce qui fait naître ordinairement la