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Voyages

Je fais une réflexion, lui dis-je ; c’est que l’honnête homme est presque toujours humilié, presque toujours sans biens, & presque toujours triste : il n’a point d’ami, parce que son amitié n’est bonne à rien : on le fuit, on le dédaigne, on le méprise, & on rougit même de se trouver avec lui : pourquoi ? c’est qu’il n’est qu’estimable, & je ne crois pas que cette qualité figure beaucoup dans ce monde. Je ne puis qu’admirer la justice de vos remarques, dit Monime : quelle différence de ceux-ci, sur qui l’or & l’argent brillent de toutes parts ! on diroit qu’ils étalent sur eux plus de biens, que peut-être ceux-là n’ont de revenu. Regardez leur physionomie libre & hardie, ces regards effrontés, cet air tranquille & satisfait ; tout, jusqu’à leur embonpoint, annonce l’opulence.

Dès que le visir parut, tous ces riches s’avancèrent vers lui d’une façon libre & aisée : il les écouta tranquillement, leur répondit d’un air gracieux & affable ; mais pour ces pauvres personnes, dont la timidité annonçoit l’indigence, il leur tourna le dos ; ses domestiques les écartèrent ; & quoiqu’ils s’efforçassent de courir après lui, & que plusieurs tâchassent de vaincre, à force de poitrine, la difficulté de s’exprimer en marchant trop vîte, ils eurent beau faire,