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de Robinson Crusoé.

chaloupe avoit été trouvée, & cette pensée m’agitoit de la manière la plus cruelle ; je m’attendois de les voir revenir en plus grand nombre, & je craignois que quand même je pourrois me dérober à leur barbarie, ils ne trouvassent mon enclos, ne détruisissent mon bled, n’emmenassent mon troupeau & ne me forçassent à mourir de disette.

C’est alors que mes appréhendons bannirent de mon cœur toute ma confiance en Dieu, fondée sur l’expérience merveilleuse que j’avois faite de ses bontés pour moi : comme si celui qui jusqu’à ce jour m’avoir nourri par une espèce de miracle, manquoit de pouvoir pour me conserver les choses que j’avois reçues de ses mains paternelles. Dans cette situation, je me reprochois la paresse de n’avoir semé qu’autant de grain qu’il m’en falloit jusqu’à la saison nouvelle, & je trouvois ce reproche si juste, que je pris la résolution de me pourvoir toujours pour deux ou trois années, afin de n’être pas exposé à périr de faim, quelqu’accident qui pût m’arriver.

De combien de sources secrettes opposées les unes aux autres, les différentes circonstances ne font-elles pas sortir nos passions ? Nous haïssons le soir ce que nous avions chéri hier : nous desirons un objet avec passion, & quelques momens après nous ne saurions seulement en soutenir