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Les aventures

à une reconnoissance chrétienne ; mais ce fut un fruit qui avorta dans sa naissance, un lumignon aussi-tôt éteint qu’allumé, un mouvement qui dégénéra en un transport de joie charnelle, & provenant uniquement de me voir encore en vie, sans que je considérasse que le bras du tout-puissant s’étoit signalé en ma faveur ; qu’il m’avoit tiré moi seul du nombre des morts, pour me remettre à la terre des vivans : ma joie ne différoit en rien de celle de ressentent communément les matelots qui se voient à terre après avoir échappé du naufrage, qui consacrent ces premiers momens à la boisson, & qui se hâtent de noyer au plus vîte dans les verres le souvenir de tout le passé. Telle étoit ma disposition, & telle elle fut durant tout le cours de ma vie.

Quand la suite des tems & de mûres considérations m’eurent fait sentir tout le poids de ma misère, que je me représentois un naufrage étrange dans ses circonstances, affreux dans son issue ; que je me voyois séparé de tout le genre humain sans nulle apparence d’y être incorporé ; que j’envisageois mes maux parvenus à leur comble, sans en appercevoir dans l’avenir le moindre degré de diminution, dans cet état, s’il venoit à luire un petit rayon d’espérance de pouvoir substanter ma vie, & de la défendre