la garnison de Petrograde. Bien que, dès son début, le mouvement eût pris une direction inquiétante pour les intérêts des classes bourgeoises et des partis libéraux les représentant, ces derniers en furent les maîtres pendant un certain laps de temps. La Douma, malgré son effacement volontaire, pusillanime et maladroit, gardait quelque prestige. Le premier ministère fut entièrement un ministère bourgeois, à l’exception du socialiste Kerensky. Quoique ce dernier se déclarât spontanément partisan de la politique intérieure utopique de ménagement des intérêts de la chèvre et du chou, il se rallia à ses collègues bourgeois en ce qui concernait leur politique extérieure, qui se traduisit par la proclamation d’une fidélité inébranlable à l’alliance avec les grandes démocraties occidentales et par la continuation de la guerre contre les Empires du Centre.
Les perspectives de canalisation de la révolution dans la voie préconisée par les partis libéraux, de l’avènement d’un régime rénové, constitutionnel ou républicain démocratique, de la prépondérance et même de l’influence exclusive des Alliés sur les affaires de la Russie, qui s’en suivraient, se dressèrent devant les yeux des Allemands, comme une menace si terrible, qu’ils n’hésitèrent pas un seul instant à user d’une manœuvre très dangereuse pour eux-mêmes, mais se présentant comme la seule efficace.
Orienter la révolution bourgeoise russe dans la voie d’une révolution sociale, faire éclater l’anarchie qui, forcément, s’en suivrait, quel rêve pratique ! Ils se rendirent bien compte que, par l’emploi de cette arme, bien plus qu’à l’aide de canons et de mitrailleuses, ils arriveraient vite à vaincre la résistance de la Russie, à la jeter haletante à leurs pieds. Le programme d’action fut tôt conçu et mis en exécution. Dès le mois de mars, un train blindé quitta silencieusement la gare de Zurich à destination de Petrograde, rempli de voyageurs de marque, sélectionnés parmi les grands apôtres et orateurs du parti bolchevik et parmi les agents provocateurs les plus réputés et les plus dévoués.
Avec un petit effort d’imagination, on peut bien se