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lxxij
introduction

quand l’auteur de la seconde partie tient une idée poétique, réussit-il assez ordinairement à la présenter sous une forme convenable. Nous citerons comme un agréable morceau de poésie descriptive la tirade où le poète nous montre la fiancée de Bernier tenue en captivité par le roi de France, se mettant un matin à la fenêtre et contemplant dans la campagne des scènes qui excitent en elle, par contraste, de tristes pensées. Elle voit les oiseaux qui chantent, les poissons qui nagent dans la Seine, les fleurs qui s’épanouissent par les prés, les pâtres qui jouent de leurs flageolets. Il lui semble que partout elle entend parler d’amour. Alors, faisant un retour sur elle-même, elle est saisie de douleur. Elle déchire son vêtement : « Fourrures de martre, » s’écrie-t-elle, « je ne veux plus vous porter, quand j’ai perdu le meilleur bachelier qu’on pût trouver en ce monde ! » (Tirade cclxxii.)

Passons à la versification. Les 3,170 vers de la seconde partie[1] sont répartis entre 145 tirades dont la longueur est très variable. La tirade cclxxix n’a que sept vers ; la tirade cccii n’en a que six. Et, d’autre part, la tirade cclxxxi en a cent cinquante-quatre. Il semble bien improbable qu’une chanson de geste dont les tirades étaient aussi inégales ait pu être chantée. On lisait, ou, si l’on veut, on récitait déjà les poèmes en tirades monorimes au temps où Raoul fut continué. Les vers sont assez bien faits. Les assonances employées sont au nombre de dix-huit en tout, dont dix masculines. Dans la plupart des poèmes anciens, la variété est plus grande ; on observe aussi que la proportion des assonances féminines est plus forte. Ainsi la Chanson de Rolant (texte d’Oxford) pour

  1. Vers 5556-8725.