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LE GRAND DANGER POUR LE CANADA

l’affaire de ses fonctionnaires, la seule langue officiellement reconnue en Lorraine aurait été le français.

Or, ce qui n’est qu’une supposition imaginaire pour l’Alsace-Lorraine, est une réalité très existante pour le Canada. Nous avons ici un tas de gens de nationalités, de mœurs et de mentalité fort diverses et qui n’ont aucune raison pour être particulièrement attachés ni à l’Angleterre, ni au Canada. La communauté d’intérêts et la parité de genre de vie les portent, au contraire, vers la grande république américaine ; la seule barrière réelle qui s’oppose à leur identification avec celle-ci, c’est la différence de langage. Et voilà que nos grands hommes se mettent à rompre cette barrière, en obligeant les étrangers du Canada à apprendre la langue des États-Unis.

Oui, je sais bien : nos Anglo-Canadiens, eux, ne parlent qu’anglais et sont quand même fidèles à l’Angleterre. Alors, pourquoi n’en serait-il pas de même des autres races ? Mais, encore une fois, messieurs, soyez donc « pratiques » et rendez-vous compte que les étrangers n’ont aucune de vos raisons pour aimer l’Angleterre et admirer les institutions britanniques. On peut parfaitement admirer les institutions britanniques et aimer l’Angleterre, sans parler l’anglais. Mais, si quelqu’un n’aime pas l’Angleterre d’avance, ôtez-vous de l’esprit l’illusion que ce sera en le faisant apprendre l’anglais que vous allez lui faire pousser cet amour ; la plupart du temps, ce sera le juste contraire. — Ainsi, moi : j’étais un admirateur passionné des institutions britanniques, avant d’avoir appris l’anglais. — Et depuis ?… Depuis… Ah ! dame, vous comprenez, depuis j’ai lu les journaux anglais du Canada… Alors !…

Mais, que nos utopistes regardent donc un peu ce qui se passe dans le monde. L’Angleterre a-t-elle gagné l’amour des Irlandais en les obligeant à parler anglais ?… Tout simplement, elle les a fait sympathiser avec les États-Unis d’Amérique. Or, prenez une mappemonde et vous constaterez que l’Irlande est beaucoup plus éloignée des États-Unis que le Canada. Et par conséquent, le phénomène irlandais se reproduira a fortiori ici, et tout étranger anglifié est un partisan acquis à la cause de l’annexion du Canada aux États-Unis. Ce ne sont pas là de vagues théories subjectivistes ; ce sont des réalités bien objectives, que l’on peut constater tous les jours…