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III
préface

N’empêche que le vieil instinct assimilateur se révèle encore à l’occasion.

Ainsi, dans le groupe des îles normandes — le seul des pays britanniques qui n’a jamais été conquis, puisqu’il faisait déjà partie des apanages des ducs de Normandie, conquérants de l’Angleterre — les autochtones sont encore obligés de montrer les dents pour conserver intacts des privilèges neuf fois séculaires.

À Malte, il a fallu des luttes opiniâtres, une demi-douzaine de crises parlementaires, presque la révolte à main armée et même le déchaînement de la guerre européenne pour décider le gouvernement britannique à concéder aux Maltais le libre usage de l’italien et son enseignement dans les écoles de l’État.[1]

On loue avec raison le traitement généreux accordé aux Boers par les autorités britanniques. Mais sait-on que la reconnaissance de la langue nationale a été la concession la plus difficile à arracher au vainqueur ? Les négociations de Vereneegig ont traîné quatre jours, à cause de cette unique condition. Il a fallu la menace des chefs bœrs de reprendre, en guenilles, sans pain, sans munitions, la lutte contre le colosse britannique, où déjà avait sombré le prestige militaire de la Grande Bretagne pour décider les généraux anglais à concéder un droit que les Romains païens n’ont jamais refusé aux vaincus.

Mais ces faits mis au point, il n’en est pas moins vrai qu’à l’heure actuelle le Canada anglais est la seule partie de l’Empire britannique où les autorités civiles s’efforcent de déraciner un idiome national par des règlements et des méthodes pédagogiques désuètes, mises au rancart dans tous les pays civilisés, abandonnées par les « Huns » en Alsace-Lorraine.

La thèse de l’auteur subsiste donc en entier. J’ose même dire qu’elle se fortifie de la divergence d’opinion que j’ai cru devoir exprimer. Si les Anglais, partout où ils dominent, ont fait violence à leur pratique passée et à leur instinct d’assimilation, leur exemple ne condamne-t-il pas d’autant plus la politique antinationale et stupide poursuivie dans l’Ontario et le Manitoba ?

  1. Trompé, comme tous les autres Canadiens, par les mensonges de la publicité britannique, j’avais glorifié la libéralité du régime anglais à Malte. Un religieux maltais, le B. P. Fortuné de Malte, a fait connaître aux lecteurs du Devoir la réalité des choses. (Devoir du 29 janvier, du 8 et du 6 février, 1916.)