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la question des langues

tous ces peuples éloignés de Rome et de les jeter dans les bras du schisme grec, quand les patriarches de Constantinople se séparèrent de l’église romaine[1].

Par ailleurs, les langues, loin d’avoir servi à former les nations, me semblent, au contraire, s’être formées à mesure que les nations se développaient. Dans les différentes contrées qui avaient été soumises à la domination romaine, les peuples, selon leurs besoins et leurs natures propres, se formèrent des langues, toutes dérivées du latin, toutes évidemment sœurs, mais cependant si différentes : l’italien, en Italie, l’espagnol, en Espagne, le portugais, en Portugal. La France, elle, se paya le luxe de deux langues parallèles, l’une plus harmonieuse, l’autre plus forte, mais toutes deux également belles : la langue d’Oc, devenue le provençal, dans le Midi, et la langue d’Oïl, devenue le français moderne, dans le Nord, pendant que, dans la presqu’île armoricaine, les Bretons continuaient de se servir de leur vieille langue celtique et que, dans les montagnes des Pyrénées, les Basques gardaient le parler de leurs ancêtres. Cependant, au fond des Balkans, une petite colonie romaine, oubliée au milieu des peuplades slavonnes, tchèques et germaines, se faisait, elle aussi, sa langue, tirée du latin, qui est devenue la langue roumaine. Si j’en juge par les quelques phrases que j’en ai vu citées, c’est, de toutes les langues romanes, celle qui se rapproche le plus du français.

Un peu plus tard, de la combinaison du français, importé en Angleterre par les Normands, et de l’ancien idiome anglo-saxon se forma la langue anglaise. De leur côté, les différentes peuplades germaines, qui, encore aujourd’hui, sont loin de parler la même langue, combinaient leurs différents patois pour en tirer, vaille que vaille, l’allemand moderne.

Toutes ces différentes langues se formèrent et se propagèrent dans le peuple et par le peuple ; chacune se répandit plus ou moins loin et plus ou moins vite, selon son mérite intrinsèque et selon qu’elle répondait mieux à la nature et aux besoins du peuple qui devait s’en servir. Les savants et les gouver-

  1. À cet exemple, il faut ajouter celui de l’Angleterre des Tudor, imposant la langue anglaise aux Gallois, comme seule langue officielles alors que le français-normand était encore la langue de la Cour et du parlement d’Angleterre, — ainsi que l’auteur le signale à la page suivante.