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vii. — la langue

l’autre, le français qu’il avait sous les yeux ne pouvait être qu’une langue composite, car les scribes, à quelque nationalité qu’ils appartiennent, respectent rarement leurs modèles, et y laissent, en les transcrivant, bien des particularités de leur idiome ou de leur graphie propres. D’autre part, l’unique manuscrit conservé de l’Entrée d’Espagne émane, comme il a été dit[1], de scribes différents. Dans ces conditions, il est très difficile de dégager sûrement la forme linguistique que l’auteur a entendu donner à son œuvre de celle sous laquelle elle nous est parvenue. Tenter une restitution critique est à peu près impossible : la seule base sur laquelle s’appuient d’ordinaire les éditeurs d’anciens poèmes français qui se flattent de reconstituer le texte primitif, à savoir l’étude des rimes, nous fait défaut dans l’espèce, car c’est précisément en vue d’obtenir la rime que notre auteur se laisse aller aux licences phonétiques les moins justifiables.

C’est pourquoi nous nous proposons simplement de relever dans le manuscrit de Venise certains faits graphiques ou linguistiques qui nous ont paru curieux soit par leur rapport, soit par leur contraste avec ceux qu’on observe ordinairement dans les manuscrits exécutés en France de chansons de geste composées par les auteurs français. Cette tâche modeste ne sera pas sans utilité pour le lecteur de l’Entrée d’Espagne ; il est même permis de penser qu’elle contribuera à jeter quelques rayons sur la langue propre de l’auteur, en attendant que la découverte de quelque autre manuscrit permette de faire plus de lumière sur ce sujet que l’état de notre information laisse encore plongé dans une trop profonde obscurité.

  1. Voir ci-dessus, p. xxv, note 1.