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iv. — l’auteur et l’œuvre

l’intérêt ne languit pas un instant[1]. Dans un genre différent, la façon dont Roland comprend son rôle de bailli de Perse et prépare la résistance contre un retour offensif du roi Malcuidant offre peut-être encore plus d’originalité[2]. Et ici se fait jour plus qu’ailleurs une tendance de l’auteur, dont j’ai déjà dit un mot, et qui est quelque chose de nouveau, si je ne me trompe : l’exaltation d’un état de civilisation courtoise qui forme pour ainsi dire l’arrière-plan des scènes religieuses ou guerrières empruntées au vieux cadre de l’épopée française, et l’attribution à Roland d’un rôle civilisateur qui tempère l’outrance de son caractère traditionnel par une compréhension plus large, plus humaine, des nécessités de la vie sociale.

Roland est par excellence le héros de l’Entrée d’Espagne, qui est comme une seconde « chanson de Roland ». Aussi les autres personnages se trouvent-ils par cela même rejetés dans l’ombre ; la peinture de leur caractère, le récit de leurs exploits n’ont pas toujours la vigueur de touche qu’on pourrait désirer. L’auteur a cependant su donner à Charlemagne, dans certaines circonstances, une attitude conforme à son rôle officiel de chef de l’empire et de la chrétienté. Il est peu de scènes épiques plus grandioses que celle où le vieil empereur, abandonné par son neveu, et pressé par ses barons de donner l’ordre de retourner en France, s’écrie fièrement :

Qui veult, aler s’en puet, qe ci vuel definir
Ains que por moi s’en fue le signal de l’anpir[3].

Son âge ne l’empêche pas, à l’occasion, de payer de sa personne et d’accomplir des prouesses :

  1. Entrée d’Espagne, 9410-10938.
  2. Ibid., 13522-991.
  3. Ibid., 15406-7.