Page:Anonyme - Huon de Bordeaux, chanson de geste.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
cxvij
Sommaire.

Barons, sergents et garçons ont aussi part à leurs largesses. Seul le duc de Naimes refuse de rien recevoir de ces mains qu’il croit impures. L’empereur non plus ne veut pas faire ouvrir un coffre avant de s’être entretenu avec Gérard. « Gérard, lui dit-il, que me voulez-vous ? — Sire, une grande affaire m’amène, une affaire comme je n’en eus jamais. C’est à contre-cœur que je m’en ouvrirai à vous ; mais s’il m’en coûte de parler, il m’en coûterait plus encore de me taire. Je m’attends à être blâmé, et toutefois mon honneur l’emporte : je le mets au-dessus de tout. — Et avec raison, dit l’empereur. — Sire, continue Gérard, vous m’avez armé chevalier, vous m’avez chaussé l’éperon, enfin je suis votre homme lige, et, comme tel, je ne dois avoir souci que de votre bien. Ce que j’ai à vous dire, je le sais, sera un sujet d’affliction pour vos pairs, et moi-même j’en ai le frisson au cœur. — En voilà bien long, Gérard, dit le duc Naimes en l’interrompant. Soyez donc plus bref, et allez au fait. À vous entendre, je soupçonne que vous pensez à mal. — Voici donc ce que j’ai à dire, reprend Gérard. J’étais l’autre jour chez moi, à Bordeaux, et non pas seul comme un homme de rien : plus de cent chevaliers m’entouraient. Ma porte était ouverte. En regardant du côté de mon pont, je vis arriver mon frère Huon, l’écharpe au cou et le bourdon au poing, accompagné d’une belle dame et d’un vieillard nommé Jérôme, à ce que je crois. — Jérôme ! dit le duc de Naimes en fronçant la moustache, et d’où revient-il cet honnête homme ? Je le vis jadis au tournoi de Châlon, où il tua le comte Salomon. Nous avons été compagnons. — Sire, continue Gérard, écoutez-moi jusqu’au bout. Je fus ébahi en apercevant Huon, et ne laissai pas cependant d’aller au devant de lui et de lui faire bonne chère. Après