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la saga d’élie

tre eux allaient en avant avec les prisonniers pour veiller sur eux. Voilà qu’ils rencontrent Élie, au sortir de la forêt, et il est à croire qu’il rompra sa lance avant de partir. Que Dieu qui a tout en sa garde dans sa miséricorde, le protège ici et partout !

(VII)

Les cinq princes chevauchent devant les prisonniers ; et ils ont lié les chevaliers placés sur les mulets. Guillaume d’Orange soupirait souvent de douleur et d’affliction ; il appela Bertran, son parent, et ses autres compagnons : « Amis honorés, » dit il, « vaillants chevaliers, c’est grande pitié pour nous d’être embarqués sur ces vaisseaux et d’aller sur mer avec ces gens maudits : jamais plus nous ne pouvons espérer d’être secourus par aucun homme vivant. Guibourc[1], » dit-il, « courtoise dame, je vais bien m’éloigner de toi ! Je ne sais plus que dire maintenant ; Dieu tout-puissant, je te demande de prendre à jamais nos âmes en grâce ! » « Méchant vaurien, » dit Rodoant, « ces paroles nous déplaisent, que tu appelles à ton aide ta loi et tes faux dieux ! Pour l’amour de ton dieu, auquel tu crois, tu vas recevoir de moi un coup dur et pesant ! » Et il leva un gros bâton, et le frappa si fort sur la tête que le sang jaillit partout sur lui. Quand Bernard vit comment il traitait Guillaume, son parent, il hocha la tête et mordit sa barbe : « Vilain chien, » dit-il, « c’est grande pitié que nous soyons enchaînés, et que tu nous frappes ! Puisse Dieu m’accorder d’assister à ta honte » Comme le païen s’apprêtait[2] à frapper une seconde fois, ils virent derrière une vigne s’avancer Élie, revêtu d’un bon, solide et élégant équipement. Le méchant Rodoant lui parla le premier : « Quelle espèce de chevalier es-tu, dit-il, « toi qui chevauches ainsi seul ? Tu es un oison et un butor, si tu oses te mesurer à moi ! Je te prendrai ton cheval rapide, ta brogne et ton heaume doré, ton écu, ton épée

  1. A Gibuers.
  2. C B D à lui donner un second coup.