pouser avant qu’elle ait trente ans[1] et de l’emmener chez lui à Blaye[2] avec honneur. Or je veux que mon fils vienne devant vous dans cette salle ; il est bien fait ; il est sage et de bonnes manières, grand de taille, large d’épaules et fort de tous ses membres ; mais je ne sais pas, et je m’en émerveille, s’il est très vaillant, lui dont le corps est bien bâti pour la prouesse et les actions vaillantes. Il y a plus de douze mois qu’il pourrait porter les armes et être chevalier : je m’étonne de le voir vivre si tranquillement, comme destrier à l’écurie ou moine au cloître. Il lui vaudrait pourtant beaucoup mieux être à Paris au temps de Pâques et servir le roi Louis, fils de[3] Charlemagne, dont les conseils l’aideraient à conquérir un royaume comme patrimoine et propriété ; car quand j’étais jeune et à l’âge de mon fils, je fis, par ma bravoure et la force de mes armes, tant de conquêtes, que je possède encore trente châteaux, six grandes villes et vingt-cinq autres. Mais, » dit-il, « je veux devant vous tous déclarer une chose, afin que mon fils sache qu’il devra gagner[4] par les armes un domaine assuré, un héritage et des possessions, comme je l’ai fait ; il n’aura pas un denier de tout mon bien ; car[5] c’est ma fille qui restera dans ce domaine que j’ai gagné, et qui, au jour de ma mort, doit être héritière et maîtresse de tout ce que j’ai conquis. »
Quand Élie[6], son fils, entendit ces mots[7], il sentit la rage et le plus vif chagrin : il se leva aussitôt de son siège et sauta par dessus la table sur le sol, et il voulait