Page:Annuaire encyclopédique, III.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
(565)
(566)
ECONO

tenues. La quantité de la matière existante étant toujours la même, c’est par le mouvement que s’exerce sa puissance, et plus il y a vitesse du mouvement, plus grande est la tendance de la matière a s’élever dans l’échelle des êtres. Les mêmes lois régissent la société humaine. La tendance, a l’association répond à la gravitation de la matière ; cette tendance produit des centres généraux et locaux ; mais plus l’individualité est développée dans ces centres, plus il y a diversité dans les aptitudes des hommes qui les composent, et plus aussi il y a de combinaisons sociales, d’activité, de mouvement, de responsabilité, de progression voit combien l’analogie établie par M. Carey est forcée. Les mots de liberty, de responsabilité et de progrès dont il se sert si souvent auraient du suffire pour lui faire comprendre l’immense distance qui sépare le monde physique du monde moral.

Le système économique de M. Carey se résume en quatre idées principales : la valeur est égale au prix de reproduction ; les mauvaises terres sont occupées et cultivées avant les bonnes ; l’accumulation de la population dans des centres locaux très-nombreux est la condition la plus favorable au travail et à la prospérité générale ; le commerce à grandes distances et qui exige de couteux transports est une cause de décadence et de ruine. Ces principes reparaissent dans toutes les parties de l’ouvrage où sont traitées d’ailleurs, assez confusément, toutes les matières de l’économie politique. Ils sont peu liés entre eux, sauf les deux derniers, et l’on voit que ce sont des résultats auxquels l’auteur est arrivé successivement et séparément

C’est par sa théorie de la valeur, en effet, que M. Carey a débuté, et il revendique la priorité sur les idées analogues de Bastiat. M. Carey admet que la valeur d’un produit est en raison du travail exige pour le reproduire, et que, par conséquent, la valeur baisse constamment à mesure que le travail humain, aide d’instruments plus parfaits, acquiert plus de puissance et devient plus productif. Cette formule ne diffère que par une faible nuance du principe posé par Adam Smith : que le prix naturel d’un produit équivaut au travail qu’il coute, et si M. Carey n’entendait l’appliquer qu’aux objets industriels que l’homme peut produire à volonté, elle ne serait pas bien nouvelle. Mais il l’applique même à la terre et prétend que le prix du sol est lui-même en proportion du travail qu’il a fallu pour le produire, c’est-à-dire pour le mettre en état de culture. L’argument dont il se sert pour prouver cette thèse est des plus singuliers. Prenant pour base de la valeur du sol de l’Angleterre le produit annuel capitalise a 5%. Il l’estime à 6 milliards de francs, valeur du travail de 24 millions d’ouvriers pendant une année, le travail de chaque ouvrier coûtant 50 liv. sterl. par an. Il prouve facilement que ce travail serait insuffisant pour faire de la Grande-Bretagne du temps de César, ce qu’elle est aujourd’hui avec ses terrains desséchés, enclos, draines ; ses routes et ses chemins de fer, ses mines de houille, de fer, de cuivre ; les innombrables constructions qui le recouvrent. M. Carey ajoute que la valeur du sol anglais est donc inférieure au prix même de reproduction. Mais cette observation suffirait a elle seule pour prouver que ce prix ne saurait être la base de la valeur des terres. Oui certainement, elle est inférieure à ce prix, en vertu de cette loi bienfaisante qui fait que les capitaux s’amortissent successivement et que les générations venues les dernières jouissent gratuitement des travaux accumulés par les générations antérieures. Une bien faible partie des capitaux anciennement produits ont conserve leur valeur ; tous les autres ne possèdent que celle qu’ils ont acquise pendant les deux ou trois générations qui nous ont précédés. Pour les terres avant tout, c’est leur revenu actuel qui en détermine le prix en comparaison des autres terres, et c’est le monopole résultant de leur nature même qui en constitue la valeur relativement aux autres capitaux. Le raisonnement de M. Carey n’a ébranlé en rien ce fait incontestable.

Il en est de même de sa théorie sur l’occupation successive des terres. Il fait voir par de nombreux exemples historiques, dont plusieurs cependant sont très-contestables, que dans les temps anciens et modernes les colons qui venaient mettre en culture des territoires nouveaux, occupaient d’abord les terres les plus légères, les plus faciles a travailler, situées sur les plateaux et le flanc des collines et qu’ils ne descendaient que plus tard dans les vallées, beaucoup plus fertiles, mais couvertes de forêts qu’il fallait défricher et dont les terrains gras et humides exigeaient un travail et des instruments perfectionnés. Nous admettons volontiers la justesse de cette hypothèse historique, et en effet elle est très-vraisemblable. Mais elle ne prouve rien contre la théorie de Ricardo, à laquelle on prétend l’opposer et n’empêche pas le prix des terres d’être en proportion de leur produit net, c’est-à-dire de la rente plus ou moins considérable qu’elles laissent, le travail nécessaire pour les cultiver étant remboursé. M. Carey a eu le tort d’attacher un sens absolu aux mots bonnes et mauvaises terres, tandis qu’ils n’ont qu’une signification purement relative. Pour les colons primitifs les terres que nous considérons comme les meilleures aujourd’hui étaient les plus mauvaises, car avec les moyens dont ils disposaient, c’étaient celles qui rendaient le moins de produit à travail égal.

Nous sommes mieux d’accord avec lui quand il combat le système de Malthus et qu’il insiste, sur les avantages que présence une population assez dense, répartie dans un assez grand nombre de centres locaux. La terre ne donne rien, dit M. Carey, elle ne fait que prêter, et tous les aliments