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que nous attachons le plus grand prix à maintenir intacts dans l’intérêt de l’ordre social et de la paix du monde. » Ainsi, en exprimant des réserves dont le cabinet français ne pouvait se sentir blessé, la Prusse et l’Autriche lui donnaient les assurances les plus pacifiques et les plus amicales. L’on sait d’ailleurs que les lettres de créance de leurs envoyés étaient conçues selon les formes du protocole usité entre souverains, et ne laissaient rien à désirer ni dans l’esprit ni dans les termes. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’avait obtenu de ce côté d’autre satisfaction sérieuse que de savoir que les ministres plénipotentiaires des deux grandes cours allemandes présenteraient leurs lettres de créance seulement après que celles du ministre de Russie auraient été agréées.

En quoi consistaient donc les réserves posées par la Russie ? Comment étaient conçues ses lettres de créance pour qu’elle se trouvât seule au terme d’une négociation au début de laquelle elle avait cru pouvoir compter sur les puissances signataires des traités de Vienne et sur tous les petits états allemands ? La qualification de Napoléon III acceptée par ces puissances avait paru au cabinet russe constituer une donnée historique trop contraire aux données de l’histoire de Russie pour qu’il pût y adhérer. En même temps le tsarisme, fondé sur le droit divin, avait cru voir, dans le principe de la souveraineté nationale que l’empire français a choisi pour base, une dérogation au principe qui, à ses yeux, est le véritable fondement de la monarchie. L’empereur de Russie tenait à ce que cette différence de principe entre les deux gouvernemens fût marquée dans les lettres de créance de son envoyé. Comment indiquer cette distinction ? En s’abstenant d’user du terme convenu de monsieur mon frère, qui eût paru consacrer une parfaite conformité de principe entre deux monarchies dérivant de dogmes opposés.

Ces réserves cachaient-elles une pensée d’hostilité systématique ? Incontestablement elles ne révélaient point d’empressement à reconnaître le nouveau pouvoir établi en France. Cependant, si l’on remarque le langage et l’attitude que le gouvernement russe tenait d’autre part dans ses relations ostensibles avec le cabinet français et l’empereur, au moment même des pourparlers relatifs à la reconnaissance, on est frappé des dispositions amicales que l’on croit y découvrir. Ainsi, par exemple, le tsar avait écrit au mois de novembre, quelques jours seulement avant la proclamation de l’empire, au futur empereur, une lettre autographe que la presse étrangère, sur la foi d’informations qui paraissaient venir du Nord, avait généralement regardée comme affectueuse. A la même époque, le ministre de Russie à Paris, M. de Kisseleff, qui était en congé, avait reçu l’ordre de se rendre à son poste, afin sans doute que sa présence