Page:Annuaire des deux mondes, 1852-1853.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

Quel langage le sénat allait-il tenir pour satisfaire au légitime orgueil du pays sans blesser les susceptibilités des cabinets ? Tel est l’intérêt qui, en l’absence de toute incertitude sur la question spéciale de l’empire, s’attachait encore aux délibérations du sénat. Si les masses auxquelles, en politique comme en toute chose, les nuances échappent, et dont le rôle était fini dans la nouvelle évolution qu’accomplissait la France, restaient indifférentes au langage que le sénat pouvait tenir, les esprits plus cultivés suivaient avec la plus vive curiosité cette dernière phase de la république expirante, devenue pour la seconde fois la préface de l’empire.

Un incident qui se rattachait au voyage du prince-président, mais qui ne rentrait point dans le même ordre d’idées, était venu un moment faire diversion aux grandes préoccupations politiques qui absorbaient la pensée du pays. En passant à Amboise, avant de rentrer à Paris, le prince avait annoncé à Abd-el-Kader que sa libellé lui était rendue, qu’il allait être conduit à Brousse, dans les états du sultan, dès que les préparatifs nécessaires seraient faits, et qu’il y recevrait du gouvernement français un traitement digne de son ancien rang. Plusieurs fois déjà, le prince avait laissé voir qu’il désirait changer la position de ce prisonnier de la France. Un Anglais, lord Londonderry, qui s’était trouvé à portée de connaître à cet égard les dispositions du président de la république, le poursuivait de ses suppliques avec l’opiniâtreté que mettent nos voisins d’outre-Manche dans toutes les questions qu’ils prennent à cœur, et surtout dans les questions de sentiment, qu’il s’agisse d’empêcher les mauvais traitemens envers les animaux ou d’émanciper les noirs. Ces sollicitations répétées avaient fini par fatiguer le président, et le malheureux lord désespérait depuis longtemps déjà du succès de sa chevaleresque intervention en faveur drAbd-el-Kader, lorsque le prince Louis-Napoléon prit spontanément la résolution de couronner son voyage dans le midi par cet acte d’une générosité que plusieurs admirèrent, tandis que d’autres la taxaient d’imprudence.

Dans le discours qu’il adressa à cette occasion au prisonnier d’Amboise, Louis-Napoléon se chargea lui-même d’exposer les motifs qui lui avaient inspiré cette résolution. « Depuis longtemps, lui dit-il, vous le savez, votre captivité me causait une peine véritable, car elle me rappelait sans cesse que le gouvernement qui m’a précédé n’avait pas tenu les engagemens pris envers un ennemi malheureux, et rien à mes yeux de plus humiliant pour le gouvernement d’une grande nation que de méconnaître sa force au point de manquer à sa promesse. La générosité est toujours la meilleure conseillère, et je suis convaincu que votre séjour en Turquie ne nuira pas à la tranquillité de notre possession d’Afrique : votre religion, comme la notre, apprend