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la couronne d’une sorte de tumulte militaire, quand il pouvait en toute sécurité l’attendre d’un vote du pays ; mais on était curieux de savoir quel serait le résultat moral de cette journée, quel langage le prince parlerait à l’armée, et comment ce langage serait accueilli. Le discours du président de la république était habilement calculé pour entretenir les sentimens militaires sans les exalter de manière à faire craindre quelques-unes de ces arrière-pensées belliqueuses que les partis se plaisaient à rechercher au fond de toutes ses paroles. « Soldats, dit-il, l’histoire des peuples est en grande partie l’histoire des armées. De leurs succès ou de leurs revers dépend le sort de la civilisation et de la patrie. Vaincues, c’est l’invasion ou l’anarchie : victorieuses, c’est la gloire ou l’ordre. Aussi les nations comme les armées portent-elles une vénération religieuse à ces emblèmes de l’honneur militaire qui résument en eux tout un passé de luttes et de triomphes. L’aigle romaine adoptée par l’empereur Napoléon au commencement de ce siècle fut la signification la plus éclatante de la régénération et de la grandeur de la France. Elle disparut dans nos malheurs ; elle devait revenir lorsque la France, relevée de ses défaites, maîtresse d’elle-même, ne semblerait plus répudier sa propre gloire. Soldats, reprenez donc ces aigles non comme une menace contre les étrangers, mais comme le symbole de notre indépendance, comme le souvenir d’une époque héroïque, comme le signe de noblesse de chaque régiment. Reprenez ces aigles qui ont si souvent conduit nos pères à la victoire, et jurez de mourir s’il le faut pour les défendre. »

Après ce discours, qui inaugurait la journée, la cérémonie religieuse commença. Avant de la clore par la bénédiction des drapeaux, l’archevêque de Paris prononça, de son côté, une allocution appropriée à la circonstance, adressée au prince et aux soldats. Le prélat s’attachait surtout à faire ressortir, pour l’expliquer, le contraste que forment les dispositions essentiellement pacifiques de l’église avec les bénédictions abondantes qu’elle a toujours eues pour le soldat, pour ses armes et pour ses drapeaux. Il en voyait la raison dans le but auquel visent les armées par l’emploi même de la force, c’est-à-dire la paix. Il signalait aussi les lois austères de la discipline, cet esprit de dévouement exclusif au devoir, qui sont comme les traits distinctifs, particuliers à la fois au prêtre et au soldat, et qui font travailler l’un et l’autre par des moyens différons à l’apaisement des passions, au triomphe de la justice humaine. La pensée politique de l’archevêque ne pouvait être, on le conçoit, que pacifique ; mais s’il profitait de son caractère sacerdotal pour faire appel à la sagesse du prince contre les éblouissemens de la gloire que devaient rappeler à son cœur ces signes héroïques, la plus belle part de son héritage