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nom lui garantissaient l’assentiment des masses et de l’armée. Cependant il n’aurait pas réussi, même à l’aide de ces puissans moyens, à fixer de son côté la fortune, s’il n’avait su joindre une prudence consommée à une volonté inflexible. La personnalité du prince qui allait bientôt devenir l’empereur des Français n’avait pas cessé un instant, au milieu des circonstances qui préparaient le triomphe de sa cause, de dominer la situation. De quelque façon que l’on juge le coup d’état du 2 décembre 1851, c’est son œuvre ; il porte l’empreinte de sa pensée et de sa main, et le pouvoir qui en est sorti est réellement sa création.

Si l’on cherche la raison philosophique de ce retour à la monarchie pure après trente-cinq années de gouvernement parlementaire, on la trouve dans le fait même qui semblait la base et la consécration de la république, le suffrage universel, l’avènement des masses sur la scène politique. Le régime parlementaire repose sur un mécanisme savant ; il ne fonctionne qu’à l’aide de combinaisons ingénieuses, de fictions et de transactions qui ne sont point à la portée de l’intelligence simple des multitudes. Hélas ! à peine était-il compris des classes plus éclairées à qui revenait de droit la mission de l’appliquer. Pour les masses, la liberté politique n’est qu’un stérile bienfait. N’ayant point de chances de participer directement à la confection des lois ou au débat des actes du gouvernement, peu leur importe d’avoir le droit d’y prétendre. L’égalité seule leur est chère ; elle règle leurs rapports civils selon leurs intérêts ; elle flatte leur amour-propre ; elle suffit à leur activité, à leur ambition. Il semble que cette égalité soit plus complète encore, lorsqu’il n’y a plus entre elles et le pouvoir une classe savante pour s’attribuer les avantages du gouvernement ou exercer le privilège de le contrôler et de le combattre. Les masses préféreront toujours l’autorité d’un seul aux oligarchies, aux aristocraties et à la démocratie représentative elle-même. Il en sera ainsi du moins aussi longtemps qu’elles ne seront pas arrivées à un développement intellectuel suffisant pour aspirer à gouverner en commun avec la bourgeoisie. Jusque-là elles n’useront du droit de suffrage que pour appuyer le pouvoir qui leur assurera la plus grande somme d’égalité, et qui exercera le plus vigoureusement l’autorité la plus étendue. Ainsi, indépendamment même de la popularité d’un nom puissant et des fautes répétées de tous les partis, le suffrage universel contenait le germe de l’empire.

Au commencement de 1852, l’empire n’était point encore un fait accompli. En déposant sa dictature temporaire aux mains des grands corps constitués, le prince président disait encore : » Conservons la république. » Il parlait ouvertement de l’éventualité de l’empire ; mais il en subordonnait l’avènement aux nécessités de l’ordre, à la