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vertu de ce profond changement introduit dans la loi fondamentale de la France, le système représentatif se substituait au régime parlementaire, et le chef de l’état reprenait le pouvoir que les partis n’avaient pas su défendre, dont la nation se proclamait incapable d’user par elle-même. Certes, il était difficile de rien concevoir qui formât un contraste plus marqué avec la situation d’où le pays sortait, avec les idées universellement reçues, avec les prévisions des partis. En réfléchissant à la marche ascendante que les idées parlementaires avaient suivie depuis 1815, aux explosions qu’elles avaient occasionnées depuis lors a deux reprises pour avoir été contrariées dans ce croissant essor, on était naturellement induit à penser qu’elles étaient douées d’une vitalité toute-puissante, qu’il était périlleux de gêner leurs évolutions, qu’il était impossible de mettre un ternie à leur règne victorieux. Ce qui avait été jugé périlleux et impossible était accompli. Quelques protestations des corps politiques dissous le 2 décembre, des insurrections dans lesquelles la démagogie daignait à peine se couvrir du prétexte de la légalité, voilà les seuls appuis que le système parlementaire avait trouvés le jour où le prince Louis-Napoléon était venu l’abroger. Le pays, appelé à se prononcer sur le coup d’état, y avait donné son approbation sans songer même à faire de réserves.

Pour amener une évolution si complète dans les idées de la France, il fallait un concours de circonstances qui eût puissamment agi sur l’opinion. En effet, de redoutables épreuves avaient été imposées aux partis, et le pays, à la fois juge de leurs débats et objet de leurs ambitions, n’avait vu dans leurs luttes qu’un signe de leur impuissance. Ceux qui pouvaient le perdre étaient unis par la solidarité des théories et des actes, ceux qui paraissaient les plus propres à le sauver étaient divisés. Le triomphe des uns eût jeté la société dans des perturbations sans fin ; celui des autres l’eût laissée dans l’incertitude, incapable de se prononcer entre les dynasties qui pouvaient aspirer au pouvoir monarchique. Alors s’est présenté un homme d’abord sans parti dans les corps constitués, qui, par la prévoyance de ses calculs, a su profiter de toutes les chances que lui offraient les fautes répétées des républicains et des monarchistes, et qui, par la hardiesse de ses résolutions, a su saisir le pouvoir qu’ils se disputaient entre eux dans de vaines querelles. Il était aidé dans cette tâche par les craintes d’une société qui se croyait sur le point de périr et par les souvenirs toujours présens, toujours amers, des grandes catastrophes de 1815, restées jusqu’alors sans représailles militaires ou diplomatiques. Tandis que la crainte des périls courus par la propriété et la religion l’assurait du concours ou de la soumission de la bourgeoisie et du clergé, les sentimens patriotiques que flattait son