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la charte des colonies. S’il nous était donne d’exprimer un vœu et une espérance, nous voudrions que, dans le système qui sortira des délibérations du sénat, il y eût, à l’égard de nos établissemens transatlantiques, une large réserve de l’action politique et directrice du côté de la métropole, une décentralisation très large aussi au profit des colonies dans tout ce qui tient à l’administration et aux finances, de manière à associer les colons, chez eux bien plus qu’en France, à la gestion de leurs affaires et de leurs intérêts, qui se résument, en définitive, dans le budget du service intérieur, après que la métropole a fixé la part de sacrifices qu’elle veut s’imposer pour les garder, les protéger et les gouverner. Dans tous les cas, point d’élections aux colonies. Il n’y a pas de milieu pour elles entre le suffrage universel et l’absence du suffrage. S’il y a encore des colons qui croient pouvoir concilier, dans leur pays, la pratique des doctrines conservatrices avec celle des principes démocratiques, nous croyons qu’ils forment une minorité imperceptible, que la grande masse de la population coloniale, blancs comme affranchis, animée d’un esprit tout différent, ne demande qu’à se sentir gouvernée par la main tutélaire du pouvoir, qui a été depuis 1848 leur véritable sauvegarde.

C’est un spectacle digne de plus d’intérêt que ne lui en accorde la France continentale, que celui de ces colonies françaises, lointaines, isolées, dédaignées peut-être, faibles en apparence, ayant servi de champ d’expériences à la seule mesure issue de février qui ait survécu à cette révolution, ayant subi une opération héroïque, héroïquement supportée, l’abolition immédiate de l’esclavage, et se tenant debout, se remettant d’année en année d’une si rude secousse, donnant un heureux démenti à la métropole, qui les croyait perdues par la loi même qu’elle leur avait faite.

Voici le bilan de nos trois principales colonies pour l’année qui vient de s’écouler. La Martinique a ramené sa production sucrière aux 25 ou 26 millions de kilogrammes qui étaient le niveau moyen du temps de l’esclavage ; l’île de la Réunion a augmenté d’un quart son ancienne production (25 millions de kilogr.), et parait être en voie de la doubler dans deux ou trois ans ; la Guadeloupe seule est restée en arrière, avec un déficit d’un grand tiers dans son ancienne production (30 millions de kilogrammes), semblant ainsi se remettre plus difficilement des épreuves par lesquelles elle a passé. Espérons cependant qu’en 1853 il y aura progrès, et que cette belle colonie reprendra le rang que lui assignent l’importance de sa population agricole et l’ancienne renommée de ses propriétaires. Le mouvement commercial dans les trois colonies a suivi la même impulsion que le mouvement agricole ; les finances de la Martinique et de la Réunion se sont relevées, et n’attendent peut-être pour prospérer que le régime de décentralisation promis par la constitution attendue.

Dans cette position d’expectative, les colonies ont traversé l’année qui vient de s’écouler sans qu’aucun événement politique s’y soit produit ; mais cette période sera marquée dans leurs annales par un fait d’une grande portée économique, — l’organisation des banques de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. Il y a été pourvu par une série d’actes réglementaires, développement nécessaire de la loi du 11 juillet 1851, et dont le point le plus important est la création à Paris d’une agence centrale, à laquelle viendra aboutir la conclusion de toutes les opérations des banques coloniales en Europe. En ce moment, elles