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LALITA VISTARA — INTRODUCTION

toutes les âmes qui se succèdent ont à travailler à la solution du même problème qui commença quand leur premier ancêtre entra en ce monde ; mais aucune naissance successive n’est animée par la même âme[1].

« Ce dogme est élucidé dans leurs ouvrages par diverses comparaisons. Une lampe, disent-ils, par exemple, est allumée à une autre ; la lumière de la dernière n’est pas identique à celle de la première, mais, néanmoins, sans l’une, l’autre n’aurait pas été produite. Ou encore : Un arbre produit un fruit ; de ce fruit sort un autre arbre, et ainsi de suite. Le premier arbre n’est pas le même que le dernier, quoique le fruit soit la cause nécessaire du dernier[2]. »

Ces comparaisons où brille, si on les applique à l’âme, la confusion du physique et du moral, ne peuvent satisfaire un esprit accoutumé aux déductions rigoureuses ; car le passage d’une lumière à une autre et d’un arbre à un autre arbre y est toujours produit par une liaison physique, tandis que, quand il s’agit de l’entrée d’une chose immatérielle, comme l’âme, dans une chose matérielle, comme le corps, il est impossible qu’il n’y ait pas un instant où l’âme n’est ni dans le corps qu’elle vient de quitter ni dans celui qu’elle va animer. De sorte que même dans la comparaison de la semence, qui, au premier abord, semble plus juste, parce qu’une semence est complètement séparée de l’arbre, sa qualité de matière vient se mettre à la traverse du raisonnement. Venue d’un arbre, cette semence donnera forcément naissance à un arbre de la même espèce, qui, à son tour, produira une semence

  1. Si c’est là la véritable doctrine du Bouddha (quoiqu’il soit permis d’en douter, quand Mgr Bigandet nous avertit qu’elle est, en Birmanie, généralement ignorée du peuple et quand M. Olcott nous dit qu’à Ceylan, un certain nombre de prêtres ne l’admettent pas), il reste à expliquer clairement comment l’âme venue la dernière peut expier les fautes et recevoir les récompenses des millions d’âmes qui l’ont précédée et auxquelles elle est complètement étrangère.
  2. V. dans le Manual of Buddhism, de Spence Hardy, p. 397-398, quelques autres comparaisons du même genre. L’auteur du manuel fait ensuite la réflexion que voici : Les difficultés adhérentes à ce dogme particulier apparaissent dans le fait qu’il est généralement rejeté. Même les prêtres l’ont quelquefois nié ; mais quand on leur a montré les passages où il est enseigné dans leurs livres sacrés, ils ont été obligés de reconnaître que c’était un des dogmes de leur religion.