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LALITA VISTARA — INTRODUCTION

remplir ces conditions et ils auraient alors, dans le Mahâbhârata, le grand poème en l’honneur du dieu Krĭchṇa, rassemblé les vieilles légendes du Brahmanisme, dont les Bouddhistes avaient déjà adopté une partie, en les modifiant de manière à les mettre d’accord avec la doctrine qu’ils propageaient[1].

Ce qui vient à l’appui de l’opinion que le Mahâbhârata a pris sa forme définitive au moment où le Bouddhisme était le plus florissant, c’est que, dans la Bhagavadgîtâ qui, dans le Mahâbhârata, expose la quintessence de la doctrine du Krĭchṇaïsme, le Brahmanisme présente à ses fidèles la délivrance finale comme bien plus facile à atteindre qu’elle ne l’est pour les Bouddhistes. C’est ainsi qu’il fait, par la bouche de Krĭchṇa lui-même, cette promesse à quiconque est un fervent adorateur de ce dieu : « On peut affirmer que celui qui m’est dévoué ne se perd jamais, car ceux qui sont de naissance inférieure : femmes, Vâîcyas et Çoudras même, s’ils ont recours à moi, obtiennent la voie suprême[2].

Ce Slôka de la Bhagavadgîtâ, remarquable déjà à l’égard des Vâiçyas (agriculteurs ou marchands) et des Çoudras (domestiques), l’est encore plus en ce qui regarde les femmes auxquelles il promet une délivrance finale immédiate, tandis que le Bouddhisme ne la leur promet qu’après

  1. V. la légende du pigeon et du faucon, suivant les Brahmanes et les Bouddhistes, dans : Le Mahâbhârata ; onze épisodes de ce poème traduits par P. E. Foucaux ; Introd., p. XXXI et p. 231 et suiv.

    L’Histoire de Nala se trouve dans la dix huitième section du Gandavyûha des bouddhistes du Nord. V. Introd. de l’édition sanskrite du Lalita vistara par Râjendra. p. 9. — V. aussi le Dasarathajâtaka, beeing the Buddhist story of king Râma, by B. Fansboll.

    Il faut remarquer ici, à propos de cette dernière légende, qu’à la fin de son excellent mémoire sur le Râmâyana inséré dans The Indian Antiquary, t. I, M. A. Weber regarde le Dasarathajâtaka comme la première forme de l’histoire de Râma et de Sitâ, ce qui prouverait que des emprunts ont été faits au fonds commun des légendes indiennes, aussi bien par les brahmanes que par les bouddhistes, préoccupés, les uns et les autres, de faire prévaloir leurs systèmes, en y rattachant, sans souci de leur origine, toutes les traditions du passé.

  2. Bhagavadgîtâ, IX, 32. Ce même slôka est répété dans le Mahâbhârata, éd. de Calcutta, t. IV, p. 295, sl. 363. Il fait partie de l’Anougîta qui a été traduit en anglais, à la suite de la Bhagavadgîta, dans The sacred books of the East, par Kâshinâth, t. VIII, p. 255.