Page:Annales du Musée Guimet, tome 4.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cule dans la direction de l’Occident. Les invasions mongoles les ont apportées avec elles en Russie et jusque dans l’Europe centrale ; de sorte que les mêmes traditions parties des bords du Gange en se tournant le dos, pour ainsi dire, sont venues se rejoindre dans nos contrées par un des phénomènes les plus curieux que présente l’histoire littéraire de tous les siècles, ou plutôt celle des migrations auxquelles sont soumises les idées humaines aussi bien que les hommes eux-mêmes.

Nous venons de voir les causes matérielles pourrait-on dire, de l’incroyable extension à travers l’ancien continent des contes du Pantcha-tantra. Nous avons dit aussi un mot en commençant des raisons littéraires du même fait. Mais quels en sont les motifs psychologiques ? Car enfin l’Inde brahmanique possédait dès les premiers siècles de l’ère chrétienne un grand nombre d’œuvres littéraires de toute espèce et entre autres des poèmes, des drames, des pièces de vers érotiques ou gnomiques qui n’ont guère franchi, à ce qu’il semble, durant l’antiquité ou le moyen âge, et malgré la connaissance qu’en ont eue certainement les envahisseurs musulmans et le caractère suffisamment général que portaient certaines de ces œuvres, les limites du pays où elles ont pris naissance. C’est, autant que nous sachions, l’érudition et la curiosité modernes seules qui les ont exportées et souvent aussi tirées de l’oubli où elles étaient tombées dans l’Inde même.

Par quelle faveur spéciale la littérature des contes hindous, à l’exclusion de toute autre, a-t-elle donc joui d’une vogue et d’une circulation nationales et exotiques que pourraient lui envier les livres les plus célèbres et les plus répandus de l’Occident ? Pour ma part, j’y verrais volontiers une conséquence héréditaire et physiologique des mœurs de l’époque anté-historique ou plutôt anté-littéraire. Alors que toute tradition ne vivait que dans la mémoire des hommes, le conte, au sens étymologique du mot, le récit imaginé pour la circonstance, ou plus généralement légendaire et traditionnel, que le père de famille narrait à ses enfants en gardant ses troupeaux, chez les peuples pasteurs, le soir auprès du char qui servait à la fois de domicile et de véhicule, chez les nomades, autour du foyer domestique, dans la chaumière des tribus vouées au labourage, — alors, dis-je, le conte constituait avec les rites religieux, auxquels il se rattache d’ailleurs par des liens étroits, tout le bagage