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le puits de deir el bahari

de rechercher, dans le passé aussi bien que dans le présent, tout ce que l’hérédité, les passions et les circonstances font du corps humain ; mais pour qui ne déroule pas les Pharaons, il y a quelque chose de plus agréable à voir que leur dépouille, c’est leur toilette.

Rien de joli comme cette enveloppe faite d’une toile un peu jaunie (de la nuance nommée aujourd’hui couleur crème) sous un entrecroisement coquet de bandelettes ruses. L’ensemble rappelle, si l’on peut dire, ces boîtes de bonbons nouées de rubans qui s’offrent après un baptême, ou mieux, ces fiancées arabes que l’on promène encore dans les rues du Caire, et que l’on conduit à leurs fiancés entièrement voilées et masquées.

Presque toutes les momies ainsi parées sont couvertes de guirlandes sèches et de lotus fanés qui ont traversé intacts des milliers d’années, et nulle part la suspension du temps, l’arrêt de la destruction ne sauraient se comprendre mieux qu’à la vue de ces fleurs immortelles sur ces corps éternisés. C’est bien là l’image d’un sommeil sans fin. Une momie pourtant, celle d’Aménophis Ier, dont un masque jaune aux yeux d’émail moule la figure adolescente, semble, comme lasse du repos, s’éveiller en souriant dans son lit de fleurs.


Ce gracieux tableau résume l’impression que laisse, au fond ; la trouvaille de Deir el Bahari. À part quelques documents précieux pour l’histoire de la XXIe dynastie et quelques prières sur toile qu’on a chance de trouver avec les momies de la XVIIIe, il n’y a peut-être là matière ni à de longues recherches ni à de grands résultats. L’intérêt de la découverte est ailleurs, dans le coup de théâtre qui ramène subitement à la lumière une assemblée de rois et qui nous fait toucher de si près des choses que l’on croyait si loin. Il est aussi dans l’apparition de ce poétique entourage que l’Égypte savait donner à la mort, et dans lequel s’encadrent encore, sous nos yeux, quelques-unes des traces ou des reliques les plus fugitives de la vie, depuis le chasse-mouches de Thotmès, trouvé dans son cercueil, jusqu’au sourire d’Aménophis.

Le Caire, 6 août 1881.