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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

Confucius, ils éliminèrent successivement les idées du Dieu personnel et de la rétribution morale, en tant que répartie par une personne, et une fois qu’ils eurent, autant que possible, réduit l’univers à des abstractions, ils finirent par identifier les termes de leur philosophie. C’est exactement ce que font les Allemands quand ils disent que raison, Dieu, science, être et pensée sont des expressions identiques. Il n’est pas facile de reconnaître, d’après le récit de M. Cooke, de quel côté penchait Yéh, du côté de la vieille doctrine d’un Dieu personnel, habitant dans les cieux, dont le nom ne doit pas se prononcer à la légère ; ou de l’école sophistique moderne qui ne voit qu’un principe pour base de la nature. Les savants chinois se divisent actuellement en deux camps, dont les opinions sont entièrement opposées, et il eût été intéressant de savoir sous quel drapeau il s’engageait de préférence. Nous penchons à croire qu’il eût préféré la première doctrine, d’après laquelle Dieu est connu simplement comme le Suprême Régulateur infiniment juste, bon et puissant. C’est la vraie croyance des Chinois. Pour les besoins de la discussion, ils peuvent spéculer et sophistiquer ou répéter les sophismes des autres ; mais le principe plus profond de la religion nationale s’affirme dans leurs moments plus sérieux et ils reviennent à un système plus raisonnable.

M. Cooke tire encore une autre conclusion des opinions de Yéh, c’est-à-dire que les missionnaires protestants ont tort d’employer l’expression Shang-ti pour Dieu, parce que c’est le nom d’un être créé. Si c’est le nom d’un être créé, ce n’est, en tout cas, que dans l’opinion de l’école philosophique moderne ; mais, même dans ce cas, le terme « créé » ne comporte pas l’idée renfermée dans l’expression chinoise correspondante. Elle exprime le développement plutôt que la création. Les Chinois peuvent dire que Shang-ti est le développement du principe suprême ; mais si l’école moderne professe ce dogme sur l’origine du Shang-ti — sujet dont on ne trouve pas de trace dans l’ancienne littérature du pays, — ce fait ne rendrait pas nécessairement cette expression impropre à traduire notre mot Dieu. Comment pouvons-nous espérer qu’ils aient sur tous les points des idées exactes de l’Être divin ?

L’influence du bouddhisme, parfaitement reconnaissable dans les modifications qu’il a introduites dans la philosophie des Chinois, est niée pourtant