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ORIGINES DU ZOROASTRISME. — IV. ÉLÉMENTS ÉTRANGERS


démon qui est dans les bûl » (dans les idoles) et il est assimilé « au démon sous forme d’idoles que l’un adore dans l’Inde, celui qu’adora Bûtâsp ». On a déjà vu que Bûtâsp est, chez les Persans et les Arabes, le fondateur de la secte samanéenne ou buddhique 1[1], et son nom même n’est qu’une corruption du titre religieux de Câkyamuni, le Bodhisattva. Par suite, pour la tradition ancienne, Bûiti est le démon qui est l’objet du culte buddhique, c’est le Buddha en tant qu’adoré. La tradition a-t-elle raison et Bûiti est-il une corruption soit de Buddha, soit de Bodhi 2[2] ? Autrement dit, à l’époque où fut rédigé le récit de la tentation de Zoroastre, dont l’assaut de Bûiti est le premier acte, se représentait-on le Buddhisme comme la religion ou une des religions contre lesquelles il avait à lutter ? On a remarqué depuis longtemps le rapport frappant que présente l’histoire de la tentation de Zoroastre par Ahriman avec la tentation de Çâkyamuni par Mâra 3[3]. À l’un et l’autre le tentateur offre tous les biens du monde, et dans l’une et l’autre scène la tentation repoussée précède l’obtention de la vérité suprême. Si le rédacteur de l’Avesta a connu le Buddhisme, il n’y a rien d’étonnant qu’il ait emprunté à sa légende, pour la retourner contre lui, un trait si édifiant et si facile à utiliser.

Un passage du Yasht des Fravashis fait allusion à des polémiques victorieuses avec l’imposteur Gaotema 4[4]. Est-ce le divin Gotama ? Si les Zoroastriens de l’Avesta et les Buddhistes étaient voisins, rien de plus naturel que ces controverses, qui étaient dans l’esprit et les habitudes de l’une et l’autre religion : le Buddha Gotama dans les Jâtakas a passé sa vie à confondre les sectaires de tout ordre, et un des grands exploits que la tradition postérieure prête à Zoroastre est la conversion, après une controverse publique, du grand sage de l’Inde, Cangragaca 5[5].

Le Buddhisme a commencé à sortir de l’Inde dès le règne d’Açoka, qui

  1. 1. Vd. XIX, 1, note 4.
  2. 2. L’altération n’a rien d’exagéré dans un emprunt. Cette représentation de la dentale douce par t se retrouve peut-être dans le sanscrit kṛikadâçu devenu kahrkatâs (Vd. XVII, 15, note 26). On peut aussi se représenter Bûiti comme formé de Buddha (* Buta) sur le type ahura âhuiri. Le Vendidad XI, 9, présente d’ailleurs un doublet de Bùiti resté beaucoup plus proche de l’original : Bûidhî.
  3. 3. Senart, La légende du Buddha.
  4. 4. Yt XIII, 16, note 30.
  5. 5. M. Bréal, Essais de mythologie et de grammaire comparée, 201.